jeudi 14 février 2019

Leur donner le temps...

"As-tu pensé à vérifier ton pluriel dans ta phrase?
"Non."
"Peux-tu le vérifier?"
"Oui."
"Ok! Fais-le, je reviens tantôt!"

Vous êtes vous reconnu dans l'échange plus haut? Vous est-il déjà arrivé de poser des questions similaires à vos élèves afin de les aider, de les accompagner? Cet exemple d'échange m'arrive souvent et malgré toutes les bonnes intentions que j'ai, en prenant du recul je réalise que je n'aide pas mon élève tant que ça. Pourquoi? Parce que je ne lui pose pas de questions ouvertes.

J'entends déjà mon superviseur de stage 4 me répéter de travailler à poser plus de questions ouvertes. (Alain, si tu me lis, sache que j'essaie d'en poser le plus possible tous les jours! 😉) Si jamais tu n'as jamais entendu un tel concept, une question ouverte se définit par le genre de réponse qu'un répondant donnera. Sa réponse ne sera pas préétablie et la personne pourra s'exprimer librement en réfléchissant aux mots utilisés.

La semaine dernière, j'ai assisté à un atelier de travail/perfectionnement où le sujet du réinvestissement des connaissances des élèves en écriture a été discuté. Plusieurs soulevaient le point que les élèves n'arrivaient pas à réinvestir leurs connaissances en écriture lors d'une situation d'écriture où leur compétence à écrire était sollicitée. Nous sommes venus à la conclusion que les enfants ont de la difficulté à se remettre en question lors d'une période d'écriture et qu'ils ont beaucoup de difficulté à être autonomes pendant ces moments. Plusieurs ont besoin d'un support constant de l'enseignant(e) afin d'être rassurés de faire les bons choix et les bonnes corrections.

La discussion a éveillé un questionnement en moi. Pourquoi blâmer uniquement les enfants pour leur difficulté à réinvestir leurs connaissances? Ne sommes-nous pas à blâmer aussi? Les enseignant(e)s ont certainement une part de responsabilité?

En poursuivant mon questionnement interne, j'ai réalisé que nous donnons très peu d'occasions à nos élèves de réfléchir réellement à ce qu'ils font. Nous posons des questions fermées naturellement sans s'en rendre compte. Est-ce par souci d'efficacité? Par souci de rapidité? Ou tout simplement parce que Jonathan* est tombé de sa chaise et Michael* lance des effaces à son voisin et nous devons intervenir?

Peu importe, je m'éloigne du sujet. Désolé, mais les effaces lancées ça vient VRAIMENT me chercher...

En posant plus de questions ouvertes, nous suscitons la réflexion chez nos élèves. Nous les amenons à se questionner sur leurs actions et à trouver les solutions aux problèmes auxquels ils font face. Que ce soit en écriture, lecture, mathématique, peu importe, le questionnement dit ouvert permet à votre élève d'utiliser ses connaissances pour produire une réponse. Ce n'est pas toujours facile à faire et je suis le premier à oublier de poser de telles questions. Par contre, les quelques fois où j'ai utilisé ce questionnement là j'ai vu des remarques et des réflexions de haut niveau venir de mes élèves. 

Un questionnement ouvert sous-entend que le temps de réflexion sera plus long et la réponse n'arrivera peut-être pas immédiatement. Il faut résister à la tentation de poser une nouvelle question, fermée, qui donnera implicitement la réponse à l'élève. Plutôt, posez une nouvelle question ouverte afin d'approcher le problème d'un autre angle. Laissez le temps à votre élève de réfléchir. Je vous avertis. C'est difficile d'attendre! Je vous promets que ce sera payant pour vous et votre élève! Il sait comment répondre à la question, il a les connaissances nécessaires. Laissez-lui le temps de réfléchir et de placer les mots en ordre dans sa tête afin de produire l'énoncé gagnant.

Le questionnement ouvert est un art qui se développe, qui s'améliore et qui se travaille. Nous ne deviendrons pas tous experts de ce type de questionnement du jour au lendemain, mais chaque petit pas nous fait avancer dans la bonne direction. Chaque question ouverte développe l'autonomie de votre élève et le fait cheminer. Vous éviterez de dire implicitement la réponse à la question en la posant et votre élève devra réfléchir à ce qu'il a fait pour expliquer son raisonnement.

La prochaine fois que vous remarquerez que votre élève n'aura pas mis tous ses signes d'accords du pluriel dans un texte, essayez de poser une question qui ne se répond pas par oui ou non. La prochaine fois, votre échange ressemblera peut-être à ceci:

"Comment peux-tu m'assurer que ta phrase est sans erreur?"
"En vérifiant mes accords du nombre et du genre. En vérifiant mon verbe."
"Montre-moi comment tu ferais cela."
"Je trouve les noms et les groupes du nom..."

Si vous arrivez à poser au moins 1 question ouverte par jour, dites vous que vous en avez fait assez.

À la prochaine!



jeudi 7 février 2019

Le droit à l'erreur

La semaine des enseignantes et des enseignants tire à sa fin. Nous l'avons tous soulignée à notre façon et nous nous sommes félicités pour tout le travail que ne accomplissons au quotidien. Nous devrions se féliciter et se valoriser 52 semaines par année, mais la réalité quotidienne nous rattrape et nous sommes trop préoccupés par autre chose. C'est ainsi que la semaine des enseignantes et des enseignants se termine et nous continuons sur notre chemin long de 180 jours.

Chemin magnifique, mais qui n'est pas toujours parfait. Digne de nos routes québécoises, cette route est cahoteuse et parfois nous donne envie de rebrousser chemin. Pourtant, nous persévérons jusqu'à la fin juin, moment où la lumière du réservoir d'essence allume et où l'arrêt obligatoire à la station d'essence commence. Sur le chemin, nous amenons avec nous notre GPS (PFEQ, PDA et autres référentiels) pour être certains d'aller dans le bon sens afin de se rendre à notre destination correctement. 

Je ne suis qu'un enseignant en début de carrière, mais je vous admets que j'ai dû recalibrer plusieurs fois mon GPS. Il m'est arrivé très souvent de partir dans une direction qui finalement n'aboutissait à rien. C'était difficile pour moi tous ces détours, involontaires, qui se répétaient quelques fois par mois. J'étais certain que le chemin que j'avais choisi était le bon, mais non. Je commettais des erreurs à répétition et mon égo en a pris un coup. Je devais me rendre à l'évidence, je n'étais pas parfait et je commettais des erreurs. 

Ça a été difficile de l'admettre. Je ne voulais pas que ça paraisse. Nous sommes des bêtes étranges les enseignants parfois. Nous avons peur de faire des erreurs. Nous avons une idée de ce que nous voulons devenir comme enseignant et lorsque nous n'y arrivons pas il est difficile pour nous de l'admettre. Personnellement, je cachais mes erreurs, refusant de voir ces moments comme des opportunités incroyables d'apprentissage. M. Jason ne pouvait pas commettre d'erreur. Il est un enseignant sérieux qui se doit d'être un exemple pour ses élèves. Pourtant, j'étais tout sauf un exemple dans ces moments là.

Un jour d'octobre, alors que nous faisions une phrase du jour au tableau, un élève m'a posé une question plutôt bête à laquelle je ne m'étais jamais arrêté.

"M. Jason. C'est quelle classe de mots "très"?"

Très... Très. TRÈS?! Rapidement je suis tombé en mode "panique". Déterminant? Non. Verbe? Non. Nom commun? Non. Adjectif? Adverbe? Préposition? Conjonction? Comment cela pouvait-il m'arriver? 

Sans trop penser, j'ai répondu à mon élève une classe de mot sans en être certain. C'est à ce moment qu'une idée m'est venue. J'ai 20 dictionnaires au fond de la classe. Prends un dictionnaire, cherche le mot "très" et profite du moment pour expliquer aux élèves comment manipuler, chercher et lire un dictionnaire. Je l'ai fait.

"Très: adv. Indique un superlatif absolu (...)."

Je venais de commettre une erreur et mes élèves venaient de l'apprendre en même temps que moi. La honte! Au contraire, mes élèves ont apprécié que je fasse une erreur devant eux. Ils ont réalisé qu'à ce moment là, faire des erreurs est normal et tout le monde peut en faire. Leur rapport face à l'erreur venait de changer. Si M. Jason peut faire des erreurs et apprendre de celles-ci, eux aussi peuvent en faire et ce n'est pas grave. Mon rapport face aux erreurs a aussi changé. Depuis, je me permets d'en faire (pas trop souvent quand même ;) ) et j'utilise ces moments comme un opportunité riche en échanges et en apprentissages. 

Aujourd'hui, je suis beaucoup plus un exemple pour mes élèves que ce que j'étais avant ce moment là.  Les erreurs ne m'effraient plus et elles n'effraient plus mes élèves. Vaut mieux essayer et rectifier le tir que de le faire sans vouloir admettre qu'il y a mieux. En me permettant de me tromper, mes élèves n'ont plus peur de faire des erreurs. Ils réalisent qu'en les faisant, ils apprendront comment l'éviter et appliqueront cette stratégie la prochaine fois. 

Au Québec, nous sommes très compétitifs et nous voyons l'erreur comme un échec, une fatalité quelque chose de terrible. Cela peut nous mener à plusieurs difficultés dont l'anxiété. Pourtant, je fais des erreurs et je suis encore ici, devant mon écran, à vous écrire ce billet. J'ai appris de mes erreurs et j'ai aimé en faire. Elles m'ont permis de grandir, m'améliorer et développer de nouvelles stratégies plus efficaces avec lesquelles je réussis mieux. Je ne vous dis pas de faire des erreurs tous les jours, mais plutôt de les voir sous un autre oeil. 

La prochaine où vous ferez une erreur, arrêtez vous. Demandez vous s'il vaut vraiment la peine de cacher celle-ci à vos élèves. La réponse sera probablement négative. Si tel est le cas, avouez votre erreur et profitez de ce moment pour échanger avec vos élèves et pour apprendre avec eux. Vous verrez que c'est tellement plus plaisant! 

Parce que faire des erreurs, ce n'est pas grave.

J'en fais des erreurs et ce n'est pas grave.

dimanche 3 février 2019

Cher M. Jason...

Toi, le/la nouvel(le) enseignant(e) qui s'étonne devant les 100 premiers jours qui sont déjà terminés. Je t'écris pour te dire des choses que j'aurais aimé savoir il y a 100 jours. Ces journées ont défilé sous mes pieds aussi rapidement que la taille des crayons neufs de mes élèves dans l'aiguisoir murale.

Il y a 100 jours, j'étais un nouvel enseignant fébrile et motivé à l'idée d'entamer ma première rentrée scolaire. Le défi qui se présentait à moi était énorme, même géant. Nouvelle école, nouvelle équipe, aucun mobilier, que des tableaux vides et un bureau neuf.

Il y a 100 jours, je rencontrais mes élèves pour la première fois. J'ai cherché longtemps pour avoir l'idée du siècle afin de les rencontrer et pour me présenter. À mon avis, je l'ai trouvée cette idée là et j'en étais très fier.

Il y a 100 jours, j'ignorais les obstacles qui m'attendaient sur mon chemin. J'ignorais les difficultés de mes élèves. J'ignorais toutes les structures et les procédures administratives qui longeaient mon chemin sinueux. J'ignorais.

Il y a 100 jours, je ne m'imaginais pas écrire ce billet dans mon blogue, mais c'est important pour moi de le faire ce soir. C'est important pour moi de t'écrire pour te dire ces choses que j'aurais voulu savoir il y a 100 jours.

Ce que je tenais à te dire ce soir, c'est que tu en fais assez.

Ta classe n'est peut-être pas parfaite comme toutes celles que tu t'imagines lorsque tu les vois défiler sur Instagram. Dis-toi que celle que tu as construite est à ton image et est parfaite dans ses imperfections. Tous les efforts et le temps que tu as mis dans celle-ci sont incroyables. Elle n'est peut-être pas ce que tu t'imaginais, mais tu en as fait assez.

Les activités que tu fais avec tes élèves ne sont peut-être pas celles imaginées. L'activité que tu as passé des heures à préparer et qui finalement n'a pas été le succès imaginé t'as peut-être beaucoup déçu. As-tu réussi à passer le message prévu? Tes élèves ont-ils appris quelque chose? Oui? Alors tu en as fait assez.

Ce soir, en t'écrivant je réalise que j'en fais assez. Oui, je mets beaucoup d'efforts dans ce que je fais. Oui, je partage beaucoup en ligne et je te fais entrer dans mon quotidien à l'aide de vidéos sur ma chaine YouTube. Malgré tout cela, j'en fais assez. 

Nous sommes très exigeants envers nous-mêmes et cela nous amène à nous dépasser. Cela nous amène aussi à être déçus de nous et à remettre en question notre choix de devenir enseignant(e). À la fin de la journée, as-tu réussi à leur apprendre quelque chose? As-tu passé des moments agréables en présence de tes élèves? Il m'étonnerait que tu ne répondes pas oui, parce que tu en fais assez tous les jours.

Tous les jours, il y a un nouvel article publié dans les médias qui parle de l'enseignement et de notre milieu de travail. Va-t-il être positif aujourd'hui ou négatif? C'est toujours une surprise. Tu es confronté à l'opinion de tes proches, tes ami(e)s et du public. C'est difficile devoir toujours te justifier et expliquer les réalités de ton travail. Au bout du compte, peu importe ce qu'ils te disent tu es une personne extraordinaire et très peu prendraient ta place tous les matins. Tu te dis peut-être que tu devrais en faire plus, mais tu en fais déjà assez.

N'oublie pas de prendre soin de toi et de prendre des moments pour te reposer. Notre travail n'est pas facile, mais c'est important de décrocher par moments.

Pendant les 100 derniers jours, je trouvais que je n'en faisais pas assez. Je pensais que je n'étais pas à la hauteur de mes attentes. Il y a 100 jours, j'en faisais déjà assez et toi aussi. En repensant à tes 100 derniers jours, tu te dis peut-être que ton petit Alexis* pourrait en avoir plus. Dis-toi que cet élève est chanceux de t'avoir tous les matins, rassure-toi.

Peu importe ce qu'on te dit, tu en fais assez.

Et surtout.

Bonne semaine des enseignants et des enseignantes!

*Cet élève est un nom fictif. Toute ressemblance à quelqu'un est une coïncidence.